Depuis quelques années, l’art de Pierre Zufferey milite pour une approche de plus en plus narrative et figurative de la peinture, tout en lui conservant une facture résolument abstraite, de sorte que l’abstraction contient chez lui les prolégomènes probants d’un monde possible, réel ou familier, par la grâce desquels il est permis au visiteur de reconnaître, dans les pleins et les vides, la couleur et le signe, le haut et le bas, l’assise tellurique où poser ses pieds, le ciel où plonger le regard, la mer où se perdre.
La mer précisément est l’abysse infini où Pierre Zufferey a choisi de se mouvoir, en restituant, avec la série Together, l’un des plus beaux et des plus fascinants spectacles de la nature, je veux parler d’un banc de poissons aux fascinantes circonvolutions synchronisées, capable de changer brutalement et de concert sa direction, alors même qu’un banc de sardines, par exemple, peut compter quelque centaines de millions d’individus, s’étirer parfois sur près de quinze kilomètres de long, quatre kilomètres de large et trente mètres de profondeur. Quand les sardines rompent soudainement leur trajectoire, toutes ensemble, solidaires et compactes, le ventre clair et argenté de chacune d’elles produit une onde de lumière, un éclair déstabilisant pour les prédateurs venus en masse au grand festin de la mer.
A l’origine, Together est un ensemble de gravures constitué d’un formidable et monumental quadriptyque et de quelque dix-sept planches représentant toutes un banc de poissons qui se meut dans les mers océaniques. Chacune d’elles offre sa singularité, tantôt plus claire et parsemée, tantôt plus dense et sombre. Pour ce faire, l’artiste a déposé un par un plusieurs milliers de clous de girofle, lesquelles déposent, après passage sous presse, une empreinte à la saisissante crédibilité. L’effet en trompe l’œil restitue non seulement la procession du banc, mais aussi le volume que génère sa masse et sa densité. La profondeur n’est ainsi pas oubliée qui alloue à chaque gravure un renflement d’une remarquable vraisemblance.
Dans un second temps, Pierre Zufferey passe de la gravure à la peinture. La conversion se matérialise sous la forme d’un majestueux polyptique constitué de six panneaux dont l’ajustement les uns aux autres offre au visiteur l’opportunité de saisir en très grand la masse fantastique générée par le banc de poissons d’une part, le travail et la manière de peindre de l’artiste d’autre part. Que voit-on en effet si ce n’est l’entêtement d’un peintre chevillé à la tâche, la patiente résolution avec laquelle il dépose sur le support une myriade de touches blanches, grises et noires, une myriade de touches qu’il fait harmonieusement transiter de la clarté vers l’opacité, selon qu’il est au faîte ou à la base du conglomérat de poissons. Avec art, Pierre Zufferey sait restituer la frénésie du vivant qui vibrionne et décrit une trajectoire curviligne du bas vers le haut. Perforée, l’eau de la mer s’écarte délicatement, puis reprend sa place d’avant. On devine son léger frémissement tout autour, mais aussi sa tranquille indifférence à l’émoi poissonneux qui l’entreprend et la travaille.
Lorsque les prédateurs aquatiques passent à l’attaque, ils obligent tout d’abord le banc à remonter à la surface et à tourner sur lui-même en une ronde dramatique, à la merci non seulement des poissons affamés qui s’en approchent par en-dessous, mais aussi, désormais, des oiseaux qui le guettent d’au-dessus. Le banc ressemble alors à une cible mouvante que Pierre Zufferey a saisie et que l’on admire vu d’en haut à la façon d’un albatros, vu d’en bas à la façon d’un marlin ou d’un dauphin. Comme la lumière du jour est alors bien plus présente, la palette du peintre s’éclaircit. Et puisque la ronde macabre des poissons qui s’étourdissent n’est que le prémisse à la curée à venir, la pinceau l’anticipe par des touches nerveuses et frénétiques, tandis que l’océan tout autour ondule et s’agite avec davantage de vigueur.
D’un coup de nageoire caudale, le premier prédateur fend enfin l’armure d’écailles. Pierre Zufferey fait alors éclater le banc de poissons. Le tableau devient une gerbe d’argent qui explose comme feu d’artifice, le trait est un jaillissement de flèches décochées par d’invisibles archers, la peinture, un sauve qui peut général, un éventail ouvert d’une main soudaine, des milliers d’épées effilées qui tranchent la mer, une fulgurance de la vie qui s’éparpille, avant de se reformer dans une précaire compacité. Tel est le drame silencieux et l’épopée fantastique que décrit la série Together de Pierre Zufferey.
Christophe Flubacher
INFORMATIONS
Vernissage : Samedi 7 septembre 2024 à 19h00
Exposition : Me-je-ve-sa de 14h00 à 18h00 (Fermé les 20 & 21 septembre)
Concert : Jeudi 12 septembre 2024 à 19h00 (Chapeau) : François Vé
Finissage : Samedi 28 septembre 2024 à 14h00
Lien vers le site web: www.riddes.ch